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Communicateur civique

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Hiver 2018 – Numéro 66


Conseil universitaire du 5 décembre 2017

UNE SÉANCE AU RYTHME ACCÉLÉRÉ DU FONCTIONNEMENT HABITUEL MAÎTRISE ET DOCTORAT EN GÉNIE ÉLECTRIQUE FONT L’OBJET DE DEUX SUGGESTIONS

Deux suggestions contenues dans le Rapport d’évaluation des programmes de maîtrise et de doctorat en génie électrique ont reçu l’appui des membres du CU lors de cette séance. La première propose de revoir les objectifs respectifs de ces programmes, particulièrement en distinguant mieux ceux de la maîtrise recherche de ceux de la maîtrise professionnelle et « en tenant compte du Règlement des études ». La seconde souhaite que « l’on mène une réflexion sur le potentiel de développement de la maîtrise professionnelle ». À ce propos, André Zaccarin, doyen de la Faculté de sciences et de génie, constate que « les objectifs [des programmes] ont été modifiés récemment dans le Règlement des études. Il s’agit donc de les mettre à jour en fonction de cette modification. » Quant à la réflexion sur le potentiel de développement de la maîtrise professionnelle, il notifie que la direction du département de génie électrique et celle de génie informatique mettront sur pied un comité d’étude de cette question.

Le professeur Ronald Beaubrun (Sciences et génie) précise d’abord que sa faculté possède un programme de recrutement d’étudiant.e.s à l’étranger. Puis, il demande au doyen Zaccarin si la recommandation du rapport d’évaluation concernant l’exigence de la connaissance du français comme condition d’admission imposée aux non-francophones ne pourrait pas être une entrave au recrutement des étudiants chinois. André Zaccarin réplique que les étudiant.e.s qui viennent de la Chine s’inscrivent généralement à la maîtrise recherche et au doctorat ; cette exigence  linguistique s’appliquant seulement aux personnes inscrites à la maîtrise professionnelle, programme essentiellement constitué de cours.

Marie Audette, présidente, a présenté l’Avis de la Commission des études sur le projet de programme de maîtrise recherche en criminologie en insistant sur le fait qu’il se démarque par la diversité de ses orientations théoriques, conceptuelles et méthodologiques. Elle note qu’il couvre les deux grands courants dominants en recherche criminologique : l’origine et les causes de la criminalité (l’étiologie) ainsi que la construction, le contrôle et les coûts du crime. Elle stipule que les compétences qui seront développées par la formation à la recherche dans ce programme sont celles qui sont particulièrement recherchées dans le milieu de l’emploi en criminologie. Et de remarquer que les titulaires de postes en recherche dans ce milieu doivent détenir un diplôme de maîtrise mais n’ont pas nécessairement l’obligation d’appartenir à l’Ordre professionnel des criminologues du Québec (OPCQ).

Quant aux ressources humaines supplémentaires que nécessitera ce nouveau programme, l’Avis de la Commission des études prévoit la création de deux postes de professeur : un poste dans le domaine de la réinsertion sociale des contrevenants et un poste dans celui de la criminalité économique. À ce sujet, l’Avis mentionne que la Faculté des sciences sociales et l’École de service social [NDLR : Désormais appelée ‘École de travail social et de criminologie’, voir ci-après] embaucheront un premier professeur ou une première professeure avant le démarrage du programme ; un autre l’étant au terme de la première année d’opération du celui-ci.

Le professeur Bradford J. McFadyen dont c’était la dernière séance comme délégué de la Faculté de médecine a obtenu l’information à l’effet que le dossier de ce nouveau programme portait sur la maîtrise à l’exclusion du doctorat par stratégie de développement d’étapes et pour des raisons de ressources professorales. Le professeur Gilles Morin (Sciences sociales), directeur du programme de baccalauréat en criminologie, salue le travail de ses collègues, promoteurs de ce programme.  « Ça été long, s’exclame-t-il, mais la patience fonctionne ! » Puis, il exprime sa satisfaction de voir que des étudiant.e.s désireux de poursuivre des études supérieures en criminologie à l’Université Laval et obligés d’aller à Ottawa ou à Montréal pourront le faire maintenant.

La vice-rectrice adjointe aux études et aux affaires étudiantes, Caroline Senécal, présente à la séance, propose alors l’adoption de l’Avis de la Commission des études en soulignant qu’elle est fière d’avoir été jadis partie prenante au développement pédagogique qui a abouti à l’élaboration de ce programme de maîtrise en criminologie. Le dossier sera donc acheminé au Bureau de coopération interuniversitaire et au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur pour en obtenir les approbations usuelles. Après coup, le Comité exécutif en fixera la date d’implantation.

EN BREF

  • La Commission de la recherche et la Commission des affaires étudiantes ont déposé leur rapport annuel respectif 2016-2017. La première souhaite travailler sur une base plus régulière avec la Commission des études comme les deux l’ont fait au moment de l’élaboration de l’Avis sur la recherche et l’élaboration de l’Avis sur la formation à l’Université Laval. La seconde entreprend la phase de rédaction de son Avis sur l’intégration des étudiants et des étudiantes en fonction de leurs études académiques, de leurs activités socio-culturelles et de leur milieu universitaire ;
  • Alain Faucher, directeur général des programmes de premier cycle, a commenté le Rapport 2016-2017 sur les modifications apportées aux programmes estimant qu’il donne bien « une image précise de leur dynamisme » ;
  • Josée Bastien, doyenne de la Faculté des études supérieures et postdoctorales, a souligné les principales données des tableaux du Rapport sur la création des nouveaux programmes de deuxième et troisième cycle et sur les modifications apportées aux programmes de ces cycles en 2016-2017 ;
  • Les membres du CU ont approuvé la création, à la Faculté de médecine, d’un programme de maîtrise professionnelle en audiologie et d’un programme de Formation médicale spécialisée en radiologie interventionnelle ;
  • Le programme de baccalauréat intégré en langue française et rédaction professionnelle devient le programme de baccalauréat intégré en langue française et révision professionnelle. L’accent sera dorénavant mis sur la révision plutôt que sur la rédaction dans ce programme. Cette modification d’objectif professionnel amènerait à poursuivre cette formation aux cycles supérieures ; « ce qui pourrait se faire par le biais d’une éventuelle spécialisation en rédaction numérique de l’actuelle maîtrise en communication publique », spécifie le dossier soumis à l’appui de ce changement ;
  • L’École de service social change de nom pour devenir l’École de travail social et de criminologie.

       Jacques Rivet, cc

AVIS DES COMMISSIONS DES ÉTUDES ET DE LA RECHERCHE DÉPOSÉS À LA SÉANCE DU 7 NOVEMBRE 2017 DU CONSEIL UNIVERSITAIRE

Les membres de la Commission des études et ceux de la Commission de la recherche ont été invités à réfléchir sur la complémentarité qui existe entre l’enseignement et la recherche à l’université. Une journée de réflexion, animée par les présidents des deux Commissions, a eu lieu le 9 mars 2017.

La Commission des études a produit un ensemble d’énoncés de tendances et de valeurs qui lui ont permis de faire une synthèse des thèmes à approfondir de même qu’un exercice de projection du développement des études dans l’avenir. À ce propos, elle prévoit l’évolution suivante :

La formation régulière et la formation continue établiront un dialogue sur une base régulière afin d’affiner leurs offres de formation et les rendre complémentaires ;

La croissance exponentielle des informations et des connaissances disponibles en ligne sur le Web remettra en question un enseignement essentiellement fondé sur la transmission de connaissances à jour où le « maître » possède la matière qu’il « transmet » à l’étudiant qui la « reçoit ».

La mission de formation de l’Université Laval sera marquée par l’importance accordée à la capacité, pour l’étudiant, d’utiliser judicieusement ce qu’il sait, plutôt qu’à la « quantité » des connaissances qu’il aura acquises.

La possibilité d’acquérir une expérience dans des milieux de pratique durant la formation universitaire fera désormais partie d’un nombre important de programmes et ce, dans tous les secteurs.

Les finalités de la formation universitaire seront résolument interdisciplinaires. L’université formera des personnes qui poseront un regard interdisciplinaire sur leur pratique professionnelle, leur vie citoyenne et leur vie personnelle.

Quoiqu’il existera un mouvement important de professionnalisation des formations universitaires, les fondements de l’éducation libérale subsisteront. Ils viseront à former des individus aptes à faire face à la complexité et aux changements et miseront sur de solides connaissances générales et des compétences intellectuelles comme la résolution de problèmes et le jugement critique. Ce type d’éducation mettra davantage l’accent sur la formation citoyenne et personnelle que la formation professionnelle. L’importance que prendra le développement durable dans la formation viendra en appui à ce mouvement. Il sera admis que l’on peut être à la fois un professionnel, un citoyen et une personne responsable.

L’enseignant délaissera la simple transmission des connaissances au profit d’un accompagnement de l’étudiant par la motivation, la rétroaction et l’évaluation. Ce paradigme de l’apprentissage actif modifiera profondément le rôle de l’enseignant et l’amènera à adopter des méthodes centrées sur l’apprentissage des étudiants plutôt que sur la transmission de la matière.

Les connaissances seront transmises non plus seulement au moyen de l’enseignement magistral ou d’écrits, mais aussi par des moyens numériques variés, ajoutant de la flexibilité aux méthodes de pédagogie inclusive.

Bien que le développement de l’enseignement en ligne et à distance sera étendu, de nombreuses rencontres en personne seront indispensables à un apprentissage de qualité et le campus universitaire sera aménagé de manière à favoriser ces rencontres.

La contribution de la recherche au savoir à enseigner fera intervenir des chercheurs dans les cours. Elle mettra en place des formules d’enseignement coopératif afin d’enrichir mutuellement l’enseignement et la recherche.

Les universités devront se préparer à moduler les tâches des enseignants-chercheurs de manière à trouver un meilleur équilibre entre l’enseignement et la recherche.

La Commission de la recherche a souligné les défis suivants qui se poseront dans l’avenir :

L’importance que l’on continuera à accorder à la recherche devra trouver son égal en enseignement.

Il faudra inventer des moyens pour que l’importance accordée à l’enseignement ne se fasse pas au détriment de la recherche et vice-versa.

La présence de chercheurs-médiateurs devront jouer un rôle fondamental pour valoriser et contextualiser la recherche fondamentale.

Les liens avec les entreprises devront être revisités, tant pour y valoriser la recherche et établir une saine gestion de la propriété intellectuelle que pour tirer profit des connaissances en entrepreneuriat.

Les professeurs-chercheurs et les autres enseignants ne devront plus travailler en vase clos et indépendamment les uns des autres, mais plutôt dans des équipes pédagogiques.

L’appartenance à un centre ou à une équipe de recherche devra contribuer à la persévérance du professeur et à la poursuite de sa carrière en recherche.

Les échanges entre les professeurs dont la tâche est surtout axée sur la recherche et ceux chez qui elle porte surtout sur l’enseignement demeureront optimaux afin de garantir le transfert des connaissances et la qualité de la formation offerte par l’institution. Les professeurs-chercheurs détermineront les contenus et collaboreront avec des chercheurs-médiateurs, des chargés de cours ou des professeurs ayant une tâche à dominante en enseignement afin de transférer les avancées de la recherche à la formation des étudiants.

L’importance que l’on continuera à accorder à la recherche dans la carrière universitaire devra trouver son égal en enseignement. Or, la préoccupation grandissante des universités pour la qualité de l’enseignement et de la formation sera le présage d’une plus grande reconnaissance de l’enseignement dans les carrières universitaires et amènera les enseignants-chercheurs à mieux se préparer à l’enseignement.

Il sera essentiel dans la modulation enseignement-recherche de trouver l’équilibre qui permettra aux enseignants-chercheurs d’atteindre de bons niveaux de performance tout en maintenant la qualité de vie au travail. Ce qu’il faudra éviter, c’est une tâche non modulée où tout est d’importance égale, sans reconnaissance des cycles qu’exige la réussite des carrières universitaires et qu’imposent des facteurs contextuels de financement de recherche, de réforme de programme, d’innovation, d’intégration technologiques, etc.

Il faudra renforcer l’attrait pour les études supérieures. Et c’est hors des murs de l’université que le travail sera à faire, en faisant connaître la valeur ajoutée des détenteurs de maitrises et de doctorats pour les organisations. De son côté, l’université, mais aussi les instances gouvernementales, devront reconnaître cette valeur ajoutée au moment d’embaucher des travailleurs.

Jacques Rivet, cc


ENTRETIEN AVEC LE PROFESSEUR LIONEL MENEY
UNE RECHERCHE UNIVERSITAIRE QUI SE POURSUIT À LA RETRAITE SANS RUPTURE.

« Je ne dis pas comment bien dire. Je donne les éléments de connaissance linguistique qui permettent au locuteur de faire des choix éclairés »


Le professeur Lionel Meney, à la retraite depuis 2004, vient de publier un troisième ouvrage majeur en linguistique, Le français québécois entre réalité et idéologie : un autre regard sur la langue*, après avoir rédigé un Dictionnaire québécois-français (1999) et Main basse sur la langue (2010). Nous nous sommes entretenu avec lui, particulièrement pour recueillir son témoignage en tant qu’universitaire toujours actif, comme en donne la preuve cette récente publication.

JR : Cet ouvrage ne vient pas exclusivement de la période de votre retraite. Il est le prolongement d’une longue carrière d’enseignement et de recherches universitaires?

LM : Tout à fait. En un sens, il vient du premier jour de mon arrivée au Québec, le 3 septembre 1969. J’avais une formation de linguiste dans le domaine des études slaves. N’ayant pas la possibilité d’enseigner la langue russe, je me suis réorienté du côté de la langue française. C’était logique. J’étais linguiste, très intéressé par tous les problèmes de langue et, en plus, arrivant ici, je découvrais les nombreuses différences linguistiques entre la France et le Québec. Différences encore plus grandes à l’époque que maintenant. En fait, tout est lié chez moi: mon histoire personnelle, mon enseignement et ma recherche. Je me suis totalement intégré à la vie québécoise, si bien que, tous les jours et toutes les minutes, mon oreille m’incitait – et m’incite encore – à chercher quelle est l’origine de ces différences. Ce livre que vous avez en main, lequel m’a demandé six ans de travail, est la continuité exacte de ce que j’ai découvert le premier jour de mon arrivée ici. Mon objectif, dans cet ouvrage comme dans mes livres précédents, par exemple mon Dictionnaire québécois français, n’est pas de dire aux Québécois comment « bien parler », mais de dire : « Quand au Québec on dit ceci, en Europe francophone on dit cela. » Je suis à la fois très européen et très québécois.

JR : Vous utilisez la méthode de la comparaison dans votre ouvrage. C’est une approche scientifique qui permet d’exercer son jugement pour faire des choix?

LM : C’est exact. Je ne dis pas comment « bien dire ». Je donne les éléments d’information linguistique qui permettent au locuteur de faire des choix éclairés. C’est à la fois l’enseignant, le chercheur et le citoyen en moi qui agissent comme une sorte de porte-voix des locuteurs francophones, si je puis dire. Si l’on regarde mes trois ouvrages, on constate que c’est toujours la comparaison qui guide ma réflexion. À ce propos, pour ce dernier livre, la base de textes Eureka m’a permis de le faire dans des conditions exceptionnelles d’accessibilité aux faits de langue de la presse francophone québécoise et française.

JR : En quoi votre retraite-a-t-elle favorisé votre travail de rédaction consécutif à vos recherches sur le français québécois?

LM : La retraite m’a donné du temps. Ma tâche d’enseignement dans les programmes de traduction était très chronophage parce que je me suis toujours adressé à de grands groupes et je croulais sous les corrections. Sans compter les tâches administratives, les comités, les réunions… La nécessité de rédiger des demandes de subvention suivies de rapports de recherches – partiels ou définitifs – est une activité accaparante qui ne favorise pas le travail de réflexion et de synthèse nécessaire à une certaine étape de la recherche. Alors, au moment de ma prise de retraite, je n’ai jamais pensé que c’était la fin de mes recherches. Au contraire, j’avais enfin assez de temps libre pour m’y consacrer entièrement. Dans mon domaine, la recherche demande beaucoup de réflexion. J’avais accumulé beaucoup de données et pas mal réfléchi aux questions qui m’intéressent, à savoir la variation linguistique entre le français d’ici et celui de France, la norme linguistique, la qualité de la langue, la question des anglicismes, les idéologies linguistiques… Enfin j’avais du temps pour la maturation. J’avais la possibilité de continuer ce que j’avais fait et même de dépasser ce que j’avais déjà réalisé.

JR :  Vous avez bien dit « dépasser » ?

LM : Oui, car dans mes recherches, il y a une continuité et une gradation, des étapes. La première, ce fut l’appropriation et la description du français québécois, comme en témoigne mon Dictionnaire français-québécois, premier essai dans la Francophonie d’un dictionnaire non pas bilingue mais bivariétal, qui est un inventaire des particularismes du français québécois au regard du français de référence. Dès mon arrivée en 1969, à l’époque des grands débats d’affirmation du français, j’ai commencé à m’intéresser aux idéologies linguistiques. Dans une deuxième étape, ma réflexion a donc porté tout naturellement sur la norme et la qualité de la langue – c’était une question cruciale pour un enseignant de français dans les programmes de traduction, comme pour tout enseignant d’ailleurs. Mon livre Main basse sur la langueprésente tout le contexte historico-géopolitique de la question et procède à une analyse critique des principales productions lexicographiques québécoises. Dans une troisième étape – c’est l’objet duFrançais québécois entre réalité et idéologie – je me suis fixé pour tâche de décrire objectivement les caractéristiques et le fonctionnement du marché linguistique québécois. A la suite de quoi, j’ai procédé à une analyse des diverses idéologies linguistiques ayant cours au Québec afin de montrer la distance existant entre cette réalité et les diverses idéologies qu’elle a suscitées.

JR : Précisément, ce qui m’intrigue dans cet ouvrage, c’est la notion de marché. Pourquoi parlez-vous de marché?

LM : C’est une notion qui m’a été inspirée par le sociologue français Pierre Bourdieu (1930–2002). C’est une métaphore qui indique que tout locuteur, pour s’exprimer, doit choisir les produits linguistiques (les mots et leurs différentes valeurs sociales, car à chaque mot, à chaque structure grammaticale est attachée une valeur) sur le marché linguistique de la société dans laquelle il vit. Or, le marché linguistique québécois est singulier et complexe. C’est ce qui rend plus difficile le choix d’une norme admise par tous. Il se caractérise par une concurrence non seulement entre deux langues, le français et l’anglais, mais aussi entre deux variétés d’une même langue, un français vernaculaire québécois et un français international. Je me suis posé la question de savoir s’il y avait une norme linguistique proprement québécoise, différente de la norme du français international, ou bien si la question était plus complexe qu’on ne le dit. Par une étude précise de centaines d’exemples concrets, j’ai montré qu’en réalité, dans la société québécoise, il n’y a pas une seule norme, mais deux, qui sont en concurrence, une norme nationale et une norme internationale. Dans certains cas, la norme nationale est plus souvent utilisée que la norme internationale (on dit bleuet plutôt que myrtille). Dans d’autres cas, la norme internationale l’emporte sur la norme nationale (on ne dit plus guère que robinet, champlure ayant presque disparu). Dans de très nombreux cas, les deux normes se font une concurrence serrée (on dit, dans des proportions presque égales, tomber en amour et tomber amoureux, fin de semaine et week-end). Dans une perspective historique, sur une période de quelques décennies depuis le début de la Révolution tranquille, on note une progression remarquable de la norme internationale. Cela signifie que le marché linguistique québécois est de plus en plus intégré et semblable au marché francophone européen et que les produits internationaux y sont de plus en plus utilisés.

JR : Un dernier sujet sur lequel je voudrais avoir votre avis : la partie « enseignement » de votre carrière universitaire. Quelle place y a-t-elle prise par rapport à vos recherches?

LM : Je vous dirai franchement que, lorsque j’étais en activité, j’aimais mieux enseigner que faire de la recherche, pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. Ce que j’aimais le plus dans l’enseignement, c’était préparer des cours, trouver une manière simple d’expliquer une question complexe, répondre aux nombreuses interrogations de mes étudiants, surtout leur inculquer une méthode de travail, l’amour de la rigueur. Je crois tenir de mes parents, eux-mêmes enseignants, une sorte de fibre pédagogique. De fait, par leurs questions, mes étudiants me ramenaient sans cesse à mes recherches, qui étaient en symbiose avec mon enseignement. Finalement, je leur dois beaucoup.

JR : En expliquant les choses selon la manière explicitée dans votre dernier ouvrage, avez-vous pensé à vos étudiants, particulièrement du point de vue des objections qu’ils auraient pu vous servir?

LM : Assurément, de façon constante. Il m’arrivait d’avoir à argumenter avec tel ou tel de mes étudiants, qui n’était pas d’accord avec moi. Les questions de langue sont délicates. Elles touchent à l’identité. Mais je voudrais évoquer le sujet de l’attitude des étudiants sous un angle un peu différent. En général, ceux-ci sont surtout préoccupés – de façon tout à fait légitime d’ailleurs – par l’obtention de leur diplôme, synonyme d’emploi à la clé. C’était particulièrement le cas dans les programmes de formation de traducteurs professionnels où j’enseignais. J’étais parfois un peu déçu par leurs préoccupations étroitement utilitaires. Beaucoup voulaient simplement savoir si l’emploi de tel ou tel mot était correct ou fautif, sans vouloir examiner tous les aspects, toute la complexité de la question. Ils voulaient entendre une réponse binaire : oui ou non? Je m’attachais à leur montrer que les choix linguistiques ne se résument pas à des réponses de QCM. J’ai toujours essayé de leur montrer qu’il fallait d’abord et avant tout exercer son jugement. Et que pour ce faire, il fallait acquérir une certaine culture, lire beaucoup et pas uniquement la même chose, élargir son horizon à tout le monde qui nous entoure. C’est essentiellement ce message que je leur répétais sans cesse. En repensant à mes trois livres, j’ai également essayé d’expliquer au public lecteur que la problématique de la langue au Québec est plus complexe qu’il ne le croit, en lui donnant des éléments de connaissance pour qu’il puisse en juger en toute connaissance de cause. L’enseignement, la recherche et ma position personnelle comme Québécois concernant les problèmes de la langue française au Québec, tout ça, je le rappelle, est lié chez-moi.

JR : Si je vous ai bien compris, la possibilité que vous avez eue d’enseigner vous a permis de réfléchir à vos recherches…

LM : Étant chargé d’enseigner le français et la traduction dans des programmes de formation de traducteurs en contexte québécois, j’étais constamment confronté au problème de la norme et de la qualité de la langue. Cette situation m’a conduit tout naturellement à devoir creuser la question, pour moi d’abord, pour mes étudiants ensuite, et pour les lecteurs enfin qui veulent bien s’intéresser à mes publications. Ma matière d’enseignement est à l’origine de mes interrogations et donc de mes recherches. Cela est apparu dès le début de mon enseignement et ne m’a pas quitté depuis. Même à la retraite…

* Meney, Lionel, Le français québécois entre réalité et idéologie : un autre regard sur la langue, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 2017, 635p.

Jacques Rivet, cc

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